Essai : Destin, libre-arbitre et psychanalyse

Publié le par Noiprox Warel

Voici maintenant quelques jours, certains évènements de ma vie personnelle m’ont fait réfléchir à cet intangible concept qu’est le destin. Il existe, dans toutes les sociétés connues, certaines instances suprêmes consacrées à guider ou à assumer la vie telle qu’elle est. Au même titre que la religion, le concept de destin a été progressivement sacralisé, si bien qu’il constitue aujourd’hui une sorte de prédicat que l’homme, en tant qu’individu capable de penser et de croire, peut adopter pour accompagner ces choix de vie. L’aspect le plus intéressant de ce concept est qu’il n’est basé sur absolument rien : contrairement aux religions, son existence n’est basée sur aucune preuve, de quelque nature qu’elle soit, ce qui m’amène logiquement à penser que le destin est une croyance purement issue de l’esprit humain.


Pour mieux comprendre ce concept, il est intéressant de comprendre ce qu’il désigne. Le destin est défini comme une « puissance supérieure qui semble régler de manière fatale les évènements de la vie humaine ». C’est un « ensemble, une suite des évènements qui forment la trame de la vie humaine ou des sociétés et qui semblent commandés par cette puissance supérieure ». Il est important d’ajouter que dans ces conceptions, il est presqu’impossible à l’homme d’échapper à son destin. Concrètement, il s’agit d’une force supérieure capable de contrôler l’évolution des vies humaines et incidemment agir sur le développement de l’humanité et des sociétés qui la composent. Fait relativement surprenant, cette instance ne régule que les évènements de la vie humaine, c’est-à-dire qu’elle n’a pas d’action sur les autres êtres vivants (animaux ou végétaux), ce qui revient à dire qu’il existe une relation entre le destin et l’esprit humain dont nous sommes dotés.


Ce paradoxe du destin naturel n’agissant que sur l’humanité provoque la question de l’origine de ce concept, c’est-à-dire l’Antiquité et les mythologies grecque et romaine. Le destin était alors une divinité aveugle, inexorable et issue de la nuit et du chaos, à laquelle toutes les divinités étaient soumises : le destin était lui-même cette fatalité suivant laquelle tout arrivait dans le monde. Les lois du destin étaient écrites de toute éternité dans un lieu où les divinités pouvaient les consulter. La civilisation grecque représentait Zeus (de la même façon que l’empire romain considérait Jupiter), le plus puissant des dieux, portant dans ses mains l’urne qui détenait le sort des mortels, c’est dire l’importance cruciale de ce concept. Les oracles seuls, par l’intermédiaire des dieux, pouvaient entrevoir et révéler au monde des mortels ce que contenait le livre du Destin. La vision de ce concept était donc imprégnée d’une aura négative puisqu’elle est reliée à la notion de fatalité, et nombreux sont les oracles qui ont payé de leur vie d’avoir annoncé de mauvais présages.


Les religions contemporaines restent plus réservées sur la place du destin dans la vie de l’Homme. La religion catholique le compare au salut (une délivrance, une libération) ; l’Islam promeut l’omniscience de Dieu, l’avenir est consigné dans un livre mais il laisse l’homme libre de ses propres choix (c’est l’origine de l’expression « Mektoub », « c’était écrit ») et le bouddhisme envisage le destin selon l’optique du déterminisme et de la liberté, c’est donc la notion de karma qui entre en jeu.


Peu importe la vision du destin que nous avons, il est toujours opposé à la notion de libre-arbitre, à savoir la volonté humaine de se déterminer librement, à agir et à penser. D’un point de vue psychanalytique, la notion de libre-arbitre n’existe pas à proprement parler, et c’est là que tout devient intéressant. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’on considère que l’homme confronté à un choix est soumis d’une part aux lois de sa conscience mais aussi à la domination irréfutable de l’inconscient : l’individu en position de choix ne détermine pas sa décision de façon totalement consciente, d’où l’apparition d’une intervention extérieure : le destin. Cette vision des choses regroupe alors les deux aspects de la question, puisque la conscience constitue le libre-arbitre, alors que l’inconscient jour le rôle du destin (il est important de souligner le parallèle entre l’aura négative dont étaient pourvus les dieux de l’Antiquité et les évènements non tolérés par la conscience qui composent l’inconscient). Le destin serait donc défini comme une puissance extérieure à l’homme qui influe sur ses propres choix, et qui facilitent, a posteriori, l’assomption de sa propre décision.


Car il s’agit là de la fonction primordiale du destin : justifier, sans se remettre en cause, les conséquences de ses actes. Au moment d’un choix, l’homme est face à plusieurs alternatives entraînant chacune des conséquences plus ou moins similaires, et c’est cette capacité d’anticipation qui rend le choix si compliqué, parce que l’homme est capable non pas de prédire mais de prévoir l’avenir (c’est la symbolique développée par l’arbre des possibles) et c’est sa crainte de l’erreur qui provoque l’hésitation. En faisant intervenir le destin, l’homme se déculpabilise totalement de cet échec éventuel puisqu’il ne dépend désormais plus uniquement de lui mais parce que cet échec résulte également de l’intervention d’une puissance supérieure.


Dans cette optique, il faut entendre le destin comme le concours de l’inconscient dans le processus de choix auquel est confronté l’individu. Il s’agit donc d’une influence extérieure à la conscience (au choix déterminé par le libre arbitre) qui impacte sur les conséquences de la décision retenue. Le destin n’est donc plus cette instance suprême naturelle mais désigne la représentation de ce qui ne peut être contrôlé dans les conséquences d’un choix. L’impact de l’inconscient, au même titre que le contexte environnemental, exerce donc une pression qui crée cet écart si effrayant entre ce qui était prévu et ce qui arrive réellement.


Pour conclure, je citerais simplement l’écrivain brésilien Paulo Coelho, qui a écrit dans La cinquième montagne : « L’Homme est né pour trahir son destin ». Je vous laisse poursuivre cette réflexion…


Vous pouvez déconnecter vos neurones.

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