Psychanalyse : les limites du cogito de Descartes

Publié le par Noiprox Warel

L’évolution de notre état d’humanité et la place grandissante de la psychologie dans nos sociétés en perpétuelle quête de réponses ont facilité la vulgarisation des sciences humaines, ainsi que les dérives de son utilisation. S’il est une composante indéniable qu’il est important de prendre en compte dans l’exercice de ses pratiques, c’est bien la pensée. La pensée (au sens de pensée introspective) est une force, propre à l’être humain, selon laquelle nous sommes capables d’établir un raisonnement, à partir d’éléments factuels,  pour aboutir à une conclusion. Depuis le 17è siècle, et notamment le Discours de la méthode de Descartes, la pensée est souvent associée à l’être. Cette relation s’est concrétisée à travers le cogito, désormais accepté par les sociétés dites « civilisées » comme étant une vérité absolue : « Je pense donc je suis ».

 

Pourtant, la vraie question est ailleurs. Si je pense trop, ne suis-je pas assez ? C’est en tout cas le précepte défendu par les origines de la psychanalyse freudienne. En effet, lorsque Freud a dessiné le concept même de la psychanalyse, il s’agissait avant tout d’un travail thérapeutique se substituant à l’hypnose, dont les effets se révélaient temporaires. Le mouvement freudien était alors composé de deux techniques : la méthode cathartique (alors utilisée par Breuer) qui consistait à mettre le patient sous hypnose pour réveiller en lui ses évènements traumatiques et l’association libre qui favorisait la remémoration en invitant le patient à dire librement ce qu’il pense, et à partir de ce matériau, travailler sur les chaines associatives qui se mettent alors inconsciemment en place. C’est finalement l’absence de pensée, de raisonnement qui permet alors de se rapprocher de la quintessence de l’être et nous rapproche de l’inconscient, de notre côté obscur que nous cherchons à connaître et a fortiori à maîtriser. Mais comme Freud l’avait déjà souligné lorsqu’il soulignait les trois blessures narcissiques de l’Homme (que sont la révolution astronomique, selon laquelle notre planète n’est pas le centre du monde, la révolution darwinienne qui ruine l’origine divine de l’Homme et bien sûr la psychanalyse) « l’Homme n’est plus maître en sa propre maison » autrement dit, le moi est largement dominé par l’inconscient.

 

La pensée unique est donc fortuite, inutile. L’Homme, de par son évolution, s’est construit un système psychique très particulier où sa volonté consciente est de maîtriser ce qu’il ne peut pas dominer. C’est ainsi que surgit l’importance de l’Autre (au sens lacanien du terme) dans la construction psychique du sujet et l’accession à la réalité, dans sa prime enfance, et dans le développement de sa personnalité tout au long de sa vie. L’homme, en état de solitude, devient « aliéné ». Etymologiquement, cela signifie qu’il devient étranger à lui-même. Le sujet ne peut accéder seul aux méandres de son inconscient, d’où la nécessité de création d’un Autre, imaginaire, nécessaire pour la compréhension de lui-même. Plus pratiquement cela se traduit par la nécessité d’un regard objectif (mais néanmoins aiguisé) nécessaire aux thérapies psychanalytiques.

 

Ce raisonnement nous démontre les limites du cogito de Descartes, qui oblitère totalement la notion de l’Autre. Si cette réflexion était vraie au 17è siècle, dans les sociétés fortement influencées par les religions monothéistes, qui cultivaient le culte de l’être en tant qu’individu unique, elle ne peut avoir le même impact aujourd’hui. L’évolution de l’Homme, en termes de connaissances est telle que l’on ne peut plus le considérer comme une entité unique indépendante de l’Autre. Par ailleurs, la pensée reste une condition humaine, et nous permet, en tant qu’individu, de vivre au milieu des autres, d’avoir une place dans la société et des idées à partager, ce qui revient à penser que le cogito du 21è siècle se résumerait ainsi : « Je pense donc j’existe ».

 

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Publié dans Essais

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